Alem-i Nisvan, « le monde des femmes » en tatar, est la première revue de presse féminine du monde musulman.
Parue entre 1906 et 1912, elle est l’oeuvre d’une Tatare de Crimée, Şefika Gaspiralı. Fille de l’intellectuel Tatar Ismail Gaspiralı, elle continue l’oeuvre de sa mère Zehra Akçura, qui écrivait des articles à destination des femmes musulmanes dans la revue tatare Tercüman que dirigeait son époux dans les années 1880.
Zehra Akçura avait tenté de sortir la première revue féminine en 1887. Elle l’avait intitulé Terbiye, qui signifie « Éducation« . Malheureusement, les autorités russes qui colonisaient déjà le pays ne donnèrent pas leur autorisation et la revue ne put paraître.
Quatre ans plus tard, en 1891, c’est au tour du père d’essuyer un refus des autorités russes quand il présenta son projet de revue bimensuelle intitulée « Kadın » (« La femme« ).
En 1905, la législation russe évolua et la liberté de la presse également. Ismail chargea sa fille Şefika d’être la rédactrice en chef d’une revue à destination des femmes tatares. Celle-ci prit le nom de عالم نسوان, le monde des femmes. Pour plus de praticité, la revue était incluse à la revue Tercüman
Perçu à tort comme une initiative féministe, le but premier de ce premier magazine féminin n’était pas le divertissement, mais l’éducation des femmes musulmanes.
En effet, l’objectif était de prévenir l’analphabétisme, d’élever le niveau culturel et d’apprendre la Shâri’a. Son slogan était « un hebdomadaire littéraire et instructif pour les musulmanes ».
Alem-i Nisvan publia des textes religieux sur les droits des femmes dans la Shâri’a, ainsi que des articles plus mondains sur l’hygiène, les travaux ménagers, la couture, mais comptait également des sections dédiées aux sciences et à la littérature. On pouvait y lire le portrait de femmes célèbres, l’histoire d’autres pays, y découvrir la poésie et le courrier des lecteurs.
Dès sa parution le 3 mars 1906 en Crimée, le succès fût au rendez-vous. Aussi, Ismail Gaspiralı lança dans la foulée Alem Sibyan, « le monde des enfants« , première revue spécialisée à destination des enfants musulmans.
Très rapidement, Alem-i Nisvan, se répandit dans les territoires de l’empire ottoman, mais également dans les provinces musulmanes de l’Empire de Russie, jusqu’au vallées du Turkestan oriental. On pouvait également se le procurer dans les colonies des Indes britanniques, ainsi qu’au Japon.
Curieusement, il n’y a que dans les territoires musulmans administrés alors par la France (qui était si « soucieuse » d’élever le statut de la femme musulmane) qu’il était difficile, voire impossible de se le procurer.
Le magazine cessa d’exister à la mort d’Ismail Gaspiralı en 1914. Fuyant la guerre, Şefika Hanım se réfugia dans un premier temps en Azerbaïdjan, qui venait d’obtenir une indépendance de courte durée suite aux victoires de l’armée islamique du Caucase. Mais en 1920, devant l’avancée des Sovietiques, elle émigra une seconde fois comme des milliers de Tatars à destination de l’empire ottoman.
Elle mourut en Turquie en 1975, qu’Allah lui fasse miséricorde.
Source : Davut Pasa